Les dessus et les dessous de l'Exposition

Publié le par moamao

Paul Reynaud, ministre des Colonies, lors de l'inauguration de l’exposition coloniale dans le bois de Vincennes le 6 mai 1931 n'a pas de scrupule à déclarer: "La colonisation est le plus grand fait de l'histoire". Il pondère toutefois cette assertion par une interrogation: "Est-il vrai que nous célébrions aujourd'hui une apothéose qui soit proche d'une décadence?"

Lyautey, commissaire de l'Exposition coloniale, tient fortement à la présence du sultan du Maroc. Mohammed V a donc finalement accepté le voyage à bord d'un navire de guerre, entouré des plus grandes attentions. Le texte toutefois le présente circonspect, grave et peu souriant. On sait le peu dégoût du sultan pour la pompe et les apparences, pourtant, nécessités diplomatiques obligent, le Souverain se plie aux obligations de son règne même si, rappelons-le, le Maroc n'est pas une colonie! Aux côtés de la France, certaines nations coloniales comme le Danemark, la Belgique, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal ont collaboré en dressant un pavillon. L'enthousiasme européen n'est cependant pas unanime. La course aux colonies a été une des causes de la première guerre mondiale, et l'Allemagne vaincue, dépossédée de son empire, n'a pas lieu d'exalter la puissance de la France.

L'opposition vient aussi des communistes. Le Komintern mène une forte propagande anti­impérialiste en soutenant les mouvements nationalistes naissants. Mais entre les grandes idées et la perspective d'un "tour du monde en quatre jours" au cours d'une promenade de 6 kilomètres pour 3 francs, le dilemme se pose. La contre-exposition du parti communiste, baptisée "La Vérité sur les colonies" n'attire que bien peu de prolétaires qui préférèrent, pour le prix d'un litre de vin, les merguez du bois de Vincennes. Architecture, artisanat, cuisine et spectacles vivants des natifs de l'Outremer attirent les foules de France et d'Europe. Ces millions de visiteurs du bois de Vincennes peuvent matérialiser les images qui les ont tant fait rêver sur les bancs de l'école communale par des reconstitutions en nature et en relief de la vie aux colonies. Quatorze portes jalonnent l'enceinte et un chemin de fer circulaire en fait le tour. Sur le lac Daumesnil, 16 bateaux à moteur permettent d'effectuer un circuit complet.

Les pavillons du Maghreb sont disposés autour d'une place proposant des bâtiments distincts mais judicieusement harmonisés, de façon à donner l'idée d'unité et à démontrer que, de Tunis à Marrakech, il n'y avait pas de frontières. En tout cas, après le thé à la menthe, le café et les sucreries de Moulay Idriss, il est de bon ton d'admirer les méthodes de culture modernes ou la lutte contre les sauterelles que mènent d'altruistes colons... La"Ligue pour l'instruction des illettrés" est un autre témoignage de la bonne conscience du colonisateur. Cette louable institution organise, sous les yeux des visiteurs, des classes pour les travailleurs de l'Exposition coloniale. Louable institution certes, mais qui autorise un voyeurisme non dénué de préjugés ethniques. Jamais le maître ne se pose la question des cultures d'origine. L'école est là aussi pour servir les intérêts à long terme de la puissance occupante.

JEAN-LUC PIERRE

Maroc’ 31 MarocSoir

 

Publié dans Histoire

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